Ahmed ABDELKRIM
Il est des identités que l’on affirme, et d’autres que l’on imite. Depuis quelques années, l’Algérie assiste à une série d’appropriations symboliques et culturelles par le Maroc, dont les ressorts sont plus profonds qu’il n’y paraît. Il ne s’agit plus seulement de frontières, de diplomatie ou d’ambitions économiques, mais d’un affrontement silencieux sur le terrain de l’authenticité. À mesure que l’Algérie affirme son patrimoine avec fierté, son voisin semble chercher à s’en approprier des fragments. Produits, traditions, symboles, jusqu’aux gestes mêmes des citoyens : le mimétisme marocain devient une stratégie identitaire.
Hamoud Boualem, icône algérienne, cible de contrefaçon culturelle
L'exemple le plus frappant et récent est celui de Hamoud Boualem, marque centenaire, fleuron du patrimoine algérien, indissociable de la mémoire populaire. Son emblématique boisson "Selecto", à la bouteille reconnaissable entre mille, est bien plus qu’un soda : c’est une madeleine de Proust nationale, un symbole d'appartenance, de fierté, de transmission.
Or voilà que le Maroc, à travers une entreprise locale, lance une copie Makhzenisée: "Perfecto", reprenant non seulement la charte graphique de Selecto, mais également la typographie, la couleur, et jusqu’à l’esprit de la marque. Il ne s’agit pas ici d’inspiration commerciale, mais d’un acte manifeste d’usurpation identitaire. À défaut de posséder des produits emblématiques équivalents, certains cherchent à se construire une légitimité par l’imitation. En copiant un produit aussi chargé symboliquement que le Selecto de Hamoud Boualem, le Maroc ne cherche pas simplement à commercialiser une boisson — il tente de s’approprier une part de l’âme algérienne. Car le Selecto n’est pas un soda comme un autre. C’est une marque patrimoniale, née en 1907, témoin des générations, des célébrations familiales, des étés populaires, des cafés de quartier, et des souvenirs d’enfance pour des millions d’Algériens.
En lançant un clone baptisé "Perfecto", reprenant la même couleur, la même typographie et un nom au son presque identique, le Maroc cherche à surfer sur la puissance émotionnelle et culturelle que porte cette boisson. Il ne crée pas : il récupère. Il n’innove pas : il reproduit. Cette démarche n’est pas innocente. Elle traduit un manque criant de repères culturels fédérateurs.
Le Maroc, qui a longtemps misé sur l’image et la communication, découvre aujourd’hui ses limites : il lui manque une substance identitaire profonde. Et plutôt que de se confronter à cette faille, le Makhzen choisit une voie plus commode : s’approprier ce qui fonctionne chez l’autre, surtout lorsqu’il s’agit de l’Algérie.
Il est clair que cette stratégie est vouée à l’échec. Car on ne devient pas crédible par mimétisme. À chaque tentative de copie, le Maroc souligne davantage son absence d’authenticité. Il n’impose rien. Il s’inspire mal, en espérant que le flou profite à la confusion des masses.
En réalité, le Maroc ne convoite pas seulement un soda : il convoite ce qu’il représente. La mémoire collective algérienne. L’universalité de ses produits. La puissance affective de ses marques. Son drapeau fièrement porté. Sa révolution. Son peuple debout.
A force de vouloir emprunter l’habit de l’autre sans en avoir la carrure, le Maroc ne fait que révéler sa propre nudité symbolique. Et comme toute copie mal assumée, elle ne fait que renforcer l’original.
Un catalogue d’appropriations : du zellige au couscous, l’obsession algérienne
L’affaire Selecto/Perfecto n’est qu’un épisode dans une série plus large d’appropriations culturelles marocaines. Le zellige algérien, notamment celui de Tlemcen et de Constantine, est régulièrement présenté comme marocain dans les festivals internationaux. Le couscous, plat millénaire partagé par tout le Maghreb, voit systématiquement sa version algérienne reléguée au second plan dans les campagnes de l’UNESCO dominées par le lobbying culturel marocain.
La datte "Deglet Nour", produite dans le Sud algérien, est souvent revendiquée comme "produit 100 % marocain" dans certaines foires et marchés européens, malgré les évidences agricoles et géographiques. Le karakou, le haïk, la chedda, le caftan constantinois : tout ce qui relève d’un raffinement et d’un enracinement algérien devient la cible d’un recyclage culturel maquillé en patrimoine "communal".
L’Algérien, drapeau en main, devient un modèle à copier
Ce mimétisme ne se limite pas aux objets. Il s’étend aux gestes identitaires. Pendant longtemps, le drapeau marocain n’était que très rarement brandi dans les rues européennes, et n’occupait pas une place importante dans les imaginaires communautaires. C’est l’Algérien, qui depuis des décennies, porte son drapeau comme une seconde peau – dans les stades, dans les marches, dans les rassemblements culturels, ou même dans la musique – qui a imposé cette pratique.
Et voilà qu’à présent, dans les compétitions sportives et les manifestations internationales, les Marocains commencent à adopter ce réflexe patriotique... à l’algérienne. Non pas par sursaut national, mais parce que l’image de l’Algérien fier de son drapeau, libre et assumé, a conquis les imaginaires.
Pourquoi copier ? Une faille dans la construction identitaire
D’un point de vue sociologique, ce phénomène peut être lu comme le symptôme d’un déficit identitaire profond. Quand une nation peine à fédérer autour de repères historiques puissants, elle cherche à puiser dans les marqueurs symboliques d’une autre. L’Algérie, avec son passé révolutionnaire, sa richesse culturelle, sa diaspora structurée et sa résistance à l’effacement, offre une matière forte, convoitée et difficilement reproductible.
Le Maroc, de son côté, a longtemps misé sur le "soft power" touristique et monarchique, mais peine à construire une identité populaire cohérente et unificatrice. Dès lors, l’appropriation devient stratégie : copier l’Algérien, ses produits, ses gestes, jusqu’à sa perception à l’étranger. Mais copier ne produit jamais l’original. C’est un miroir vide.
L’Algérie, toujours imitée, jamais égalée
À force de vouloir s’inventer une histoire en piochant dans celle des autres, le Maroc finit par révéler ce qu’il tente désespérément de masquer : l’absence de socle identitaire solide, fédérateur et assumé. Car on ne bâtit pas une nation sur le plagiat, ni une fierté sur l’imitation. En essayant de singer l’Algérie jusque dans ses symboles les plus chers, le Maroc ne fait que souligner la distance qui le sépare de cette authenticité algérienne qu’il convoite sans jamais pouvoir l’atteindre.
L’Algérie, riche de son histoire, de ses luttes, de sa culture, n’a pas besoin de se travestir pour exister. Elle est, elle inspire, elle rayonne. Et pendant que certains s’efforcent de copier ses gestes, ses produits ou sa fierté, elle continue, sereinement, à tracer son chemin.
Finalement, à force de chercher une identité dans le miroir déformant du voisin, le Maroc ne récolte que le reflet du Makhzen : artificiel, décoratif, et profondément déconnecté de la réalité populaire.
Et pendant que l’un mime, l’autre vit. Car l’Algérie est toujours imitée… mais jamais égalée.