الحراك الإخباري - “J’existe!”, Les Algériens en France en 2025

“J’existe!”, Les Algériens en France en 2025

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De Paris : Souheila Battou

Journaliste et cinéaste


Revendiquer le droit de ne plus être un corps suspect — frère musulman par amalgame, prolongement du Hamas dans un imaginaire saturé de peur, où l’Autre est toujours déjà coupable.

C’est refuser d’être cette voix périphérique, cette origine à justifier, ce nom qu’on prononce avec réserve.

C’est réclamer ce que l’universalisme promettait mais ne garantissait pas : la pleine humanité. Non pas une humanité conditionnelle, suspendue à la conformité ou à la discrétion, mais une humanité entière, présente, visible à égalité.

Et dans ce combat, chaque mot compte. Chaque image. Chaque mémoire ravivée. Chaque histoire enfin racontée. Car être vu, vraiment vu, c’est déjà le commencement d’un avenir plus juste.

Être Algérien en France en 2025 : l’invisibilité au cœur d’une histoire partagée

Être algérien en France, c’est appartenir à une histoire ancienne, complexe, parfois douloureuse, souvent invisible.

Cette invisibilité ne relève pas d’un simple oubli, mais d’un effacement progressif, entretenu par les institutions, les médias, et parfois même les récits dominants.

Elle s’incarne dans les parcours individuels, les silences familiaux, les regards dérobés et dans l’absence de reconnaissance de cette mémoire algérienne au sein du récit national français.

Entre mémoire coloniale, discriminations contemporaines et volonté d’appartenance, se joue une lutte silencieuse pour la dignité, la reconnaissance et la place.

Un miroir de la société : les récits intimes du cabinet de Fatma Bouvet de la Maisonneuve

Dans le documentaire de Stéphane Mercurio diffusé sur France Culture, la parole est donnée à celles et ceux qui viennent déposer, chez la psychiatre Fatma Bouvet de la Maisonneuve, les blessures de leur existence en France.

Les témoignages de ses patient·e·s révèlent une souffrance à la fois intime et politique : celle de ne jamais être reconnu·e comme pleinement français·e.

« C’est l’épuisement d’être français, à essayer de le devenir », confie l’un d’eux.

Une autre dit avoir voulu être « l’Arabe parfaite », avant de s’y perdre totalement.

Ils viennent consulter non seulement pour des troubles psychiques, mais aussi pour une douleur sociale profonde.

Fatma Bouvet de la Maisonneuve le rappelle : « Les psychiatres sont des lanceurs d’alerte. Ce qui se joue ici est politique. »

Une diaspora éclatée et invisibilisée

La présence algérienne en France ne se résume pas à une seule histoire : elle est faite de couches, de strates, de mémoires souvent non transmises, parfois volontairement étouffées.

On peut distinguer plusieurs groupes qui composent cette diaspora :

Juifs d’Algérie

Citoyens français depuis le décret Crémieux (1870), les Juifs d’Algérie ont massivement quitté le pays en 1962.

Hormis Enrico Macias — plus amer que lyrique, plus sioniste que juif — beaucoup ont conservé une relation apaisée avec leur terre natale.

Roger Hanin, Alexandre Arcady ou Jacques Attali en sont les témoins.

Attali rappelle dans un documentaire :

« Les Algériens nous ont protégés, alors que la France de Vichy nous persécutait. »

L’histoire de Si Kaddour Benghabrit et de son adjoint Si Mohammed Mesli, qui sauvèrent des familles juives durant l’Occupation, en témoigne.

Roger Hanin, qui souhaita être enterré à Alger, écrivait :

« L’Algérie ne me doit rien, mais moi je dois à l’Algérie. Je dois d’y être né, d’un père d’Aïn-Beïda, d’un grand-père et de toute une lignée venue de la Basse-Casbah. »

— Je me dois à l’Algérie

Pieds-noirs

Français d’Algérie d’origine européenne, ils ne formaient pas un bloc homogène : ouvriers, artisans ou commerçants venus d’horizons divers (Espagnols fuyant le franquisme, Maltais, Corses, Italiens…).

En 1962, à l’indépendance, ils sont partis. Accueillis avec méfiance en France, souvent relégués et moqués, leur histoire d’exil, d’amertume et de déclassement est longtemps restée tue.

Pour mieux comprendre cette mémoire blessée, voir le film Les Pieds-Noirs : histoires d’une blessure (disponible sur YouTube), qui recueille témoignages et archives pour raconter ce déracinement.

Malgré tout, certains ont su faire la paix avec le passé, renouer avec les Algériens et reconnaître la complexité de cette histoire commune.

Enfants de soldats algériens morts pour la France

Ils sont les héritiers invisibles de ceux qui ont versé leur sang pour une patrie qui ne les a jamais pleinement reconnus. Tirailleurs algériens tombés à Monte Cassino, en Indochine ou sur d’autres champs de bataille, souvent privés de pension ou de sépulture digne. Leur mémoire est absente des manuels scolaires, marginale dans les commémorations officielles. Et pourtant, leur sacrifice est inscrit dans l’histoire de France. Leur descendance vit dans un entre-deux douloureux : à la fois fière d’un grand-père mort pour la République, et meurtrie par l’indifférence persistante.

« Mon grand-père est mort à Monte Cassino pour libérer l’Europe. Il ne pensait pas que les victimes d’hier deviendraient les bourreaux d’aujourd’hui. »

— Hafida Saidi, petite-fille de tirailleur algérien

Harkis et leurs descendants

Anciens supplétifs de l’armée française, exilés dans l’urgence après l’indépendance, ils demeurent les grands oubliés.

Rejetés par l’Algérie comme traîtres et accueillis en France dans des camps, ils vivent une double peine : celle de l’exil et de la honte héritée.

Leurs enfants portent une mémoire douloureuse, encore mal reconnue.

« Nous n’avons jamais été reconnus ni par la France ni par l’Algérie. Nous sommes les oubliés de l’Histoire. »

— Anonyme, harki

Vagues postcoloniales et migrations contemporaines

Immigrés algériens et leurs descendants.

Arrivés en masse dès les années 1950, dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, ces hommes ont bâti la France d’après-guerre.

Employés dans les usines, les mines, le bâtiment, ils ont été logés dans des foyers Sonacotra, maintenus à distance, dans l’ombre.

Le regroupement familial a donné naissance aux générations suivantes, françaises par naissance mais toujours perçues comme étrangères.

Les « Beurs », enfants de la deuxième génération, ont tenté de briser l’invisibilité.

La Marche pour l’égalité et contre le racisme en 1983 fut un moment fondateur, une tentative de se faire entendre, d’être vus.

Mais cet élan a été vite récupéré, étouffé, et la République ne les a pas pleinement reconnus.

Aujourd’hui, les troisième et quatrième générations grandissent dans cette tension : elles portent une mémoire blessée, un sentiment d’exil intérieur.

Elles vivent une crise identitaire sourde, entre l’envie d’appartenir et le refus d’être assignées.

Pourtant, certaines figures rayonnent et affirment cette présence par leur parcours personnel :

Kaylia Nemour, Lyna Khoudri, DJ Snake, Yasmine Belkaid.

Comme le dit Yasmine Belkaid, immunologue de renommée mondiale et directrice générale de l’Institut Pasteur à Paris :

« Aujourd’hui, j’ai peur de perdre ce qui m’a fait choisir la France. »

L’humoriste marocain Gad Elmaleh disait :

« Les Algériens, c’est le peuple qui dégaine le plus vite son drapeau. Ce n’est pas un hasard. »

En effet, ce geste répété, ce cri lancé — One, two, three, viva l’Algérie ! — disent plus qu’un simple réflexe.

Ils traduisent la fierté d’un peuple trop souvent nié, effacé, invisibilisé.

À travers cette clameur, il affirme simplement :

Je suis là. J’existe. Je veux être vu.

Exilés de la décennie noire

Fuyant la guerre civile des années 1990, ces Algériens n’ont pas quitté leur pays de gaieté de cœur.

Artistes, intellectuels, enseignants, journalistes ou citoyens ordinaires, ils ont tout laissé pour survivre.

Leur insertion a souvent été facilitée par la langue, mais la douleur de l’arrachement reste vive.

« Il y a des exils que l’on choisit pour vivre, et ceux que l’on subit pour ne pas mourir. »

— Yasmina Khadra, écrivain

Génération OQTF : la jeunesse désenchantée

Une nouvelle vague d’émigration algérienne arrive en France.

Elle est jeune, souvent diplômée, parfois sans-papiers, venue par les routes périlleuses de la harga.

Mais une fois ici, c’est le mur de la réalité : titres de séjour précaires, petits boulots mal payés, colocation à cinq dans des chambres exiguës.

Même ceux qui réussissent — dans les études, l’art ou l’entrepreneuriat — le font sur un fil.

On fait d’eux le bouc émissaire des tensions diplomatiques, alors que ce sont eux qui en paient le prix.

Une diaspora fragmentée : l’archipel algérien

Ces différentes Algéries présentes en France cohabitent sans vraiment se rencontrer.

Elles se croisent dans les mêmes villes, parfois dans les mêmes quartiers, mais ne se parlent pas.

Entre enfants de harkis, descendants d’ouvriers, exilés politiques et nostalgiques d’Alger, les silences sont tenaces.

Comme si l’histoire avait fragmenté cette diaspora, empêchant l’émergence d’un récit commun.

Une forme d’archipel algérien, éclaté, dispersé, où les identités se juxtaposent sans vraiment se fondre.

Quand l’invisibilité se fait violence

En 2025, l’extrême droite ne se contente plus de dénoncer un supposé « grand remplacement ».

Elle désigne désormais les Français musulmans comme des ennemis de l’intérieur.

Marcher pour Gaza devient un « soutien au terrorisme ».

Porter le voile, une « provocation islamiste ».

Refuser la stigmatisation, un acte de complicité.

Être d’origine algérienne suffit à éveiller la suspicion.

L’invisibilité devient soupçon.

Le prix de la dissidence : exil numérique et médias sous pression

Les voix dissidentes trouvent refuge dans des médias alternatifs : Mediapart, Blast, Le Média, StreetPress, Orient XXI.

Mais on les accuse d’être « militants » pour mieux les disqualifier.

En 2025, la liberté d’expression se paie cher.

Les marges deviennent le seul espace de vérité possible.

L’exil numérique devient une forme de résistance.

La République, promesse non tenue : vers le repli identitaire

Les familles algériennes ont cru aux promesses républicaines.

Mais leurs enfants, pourtant nés ici, se retrouvent assignés, soupçonnés, écartés.

Ils ne peuvent être pleinement français sans renoncer à une part d’eux-mêmes.

Ils cherchent à « habiter la lumière sans renier l’ombre », à vivre sans devoir sans cesse justifier leur présence.

L’invisibilité, un refus politique

Ce que révèle cette histoire silencieuse, ce n’est pas un oubli, mais un refus de voir.

L’invisibilité des Algériens en France est produite, entretenue, institutionnalisée.

Elle s’inscrit dans une mémoire nationale sélective, qui peine à affronter la colonisation, le 17 octobre 1961, les violences policières et les discriminations systémiques.

Et pourtant, les Algériens en France sont là. Présents. Actifs. Multiples.

Qu’ils soient descendants d’ouvriers, enfants de harkis, petits-enfants de combattants 

…ou membres de la diaspora intellectuelle récente, ils incarnent une mémoire vivante.

Ils ne demandent pas une faveur.

Ils demandent une place dans le récit national.

Redonner de la visibilité à cette présence ne signifie pas l’assigner à une origine, mais reconnaître la diversité des vécus algériens.

Cela passe par l’école, par la culture, par les médias, mais surtout par un changement de regard.

Ce n’est pas une question communautaire. C’est une question républicaine.

Car une République qui invisibilise ses enfants ne les trahit pas seulement : elle se trahit elle-même.

تاريخ May 28, 2025