Abed Charef
Après avoir gagné du terrain fin 2024, le dinar s’est à nouveau inscrit à la baisse depuis février, pour revenir à son niveau inquiétant d’il y’a six mois. L’euro avait alors atteint un sommet, dépassant les 260 dinars, en novembre-décembre 2024, ce qui représentait un écart de près 85% par rapport au taux officiel, où la monnaie européenne est échangée autour de 150 dinars.
Ce basculement inquiète. Il sape la confiance dans la monnaie algérienne, altère la confiance dans la parole officielle, et provoque des déséquilibres qui mettent le dinar sous très forte pression.
Pourtant, l’année 2025 semblait annoncer de bonnes nouvelles pour la monnaie algérienne. Après des années de restrictions sur les importations, qui ont provoqué des pénuries sur certains produits et une hausse effrénée sur d’autres, comme les voitures, le conseil des ministres avait annoncé, mi-novembre 2024, que l’allocation touristique accordée aux algériens se rendant à l’étranger allait passer de moins de cent euros à 750 euros pour les adultes ( 300 euros pour les mineurs). Jusque-là, l’allocation touristique était insignifiante, moins de cent euros par personne. Les pèlerins se rendant à La Mecque allaient de leur côté pouvoir changer l’équivalent de 1.000 euros supplémentaires au taux officiel.
L’euro avait connu alors une baisse significative, passant de 260 dinars à 240 dinars, perdant près de huit pour cent de sa valeur par rapport au dinar. Cette évolution confirmait une évidence: le taux du marché noir ne traduisait pas la valeur réelle de l’euro face au dinar, mais il était le résultat de la rareté des devises, auxquelles les algériens n’ont pas la possibilité d’accéder légalement.
Mesure inapplicable
Il est toutefois rapidement apparu que la décision portant l’allocation touristique à 750 euros était inapplicable. Les banques ne disposaient pas de la logistique nécessaire pour l’appliquer à partir du 1er janvier, date initialement prévue. De plus, la mesure risquait de provoquer un rush ingérable, avec un risque d’alimenter le marché noir. Un couple qui se rend en Tunisie pour un week-end, à titre d’exemple, peut en effet gagner l’équivalent de deux à trois mois d’un salaire moyen, en revendant les deux tiers de l’allocation touristique au marché noir.
Des formules compliquées, comme l’installation d’antennes de la Banque d’Algérie dans les ports, aéroports et poste-frontières, où serait attribuée l’allocation touristique, ont été envisagées, mais elles ne semblent pas efficientes. Toutes ces péripéties avaient coûté le limogeage du ministre des Finances, M. Laaziz Faid, mais son remplaçant, M.Abdelkrim Bouzred, n’a toujours pas trouvé la solution adéquate, même s’il a donné des promesses pour l’application de la mesure fin mars-début avril.
Le pire ennemi, le doute
Ces hésitations ont progressivement jeté le doute sur la décision officielle, la décision sur l’allocation touristique étant attribuée au président Abdelmadjid Tebboune lui-même, annoncée en conseil des ministres et non appliquée six mois plus tard!
Cela a commencé à se ressentir sur le marché noir, où le dinar est reparti à la baisse, hésitant à chaque annonce du ministre des finances, pour finalement revenir au niveau inquiétant de novembre 2024.
La chute du dinar risque de s’accélérer dans les mois, voire dans les semaines qui viennent. D’abord, parce que les vacances d’été approchent, période où deux à trois millions d’Algériens se rendent à l’étranger, avec le recours au marché parallèle comme seule possibilité d’accéder aux devises. Ensuite, parce que le gouvernement, dans une pirouette étonnante, a de nouveau fait le choix de faciliter le «commerce du cabas», après l’avoir pourchassé pendant des mois.
Le «commerce du cabas» est en fait une activité informelle, où des milliers d’opérateurs se rendent à l’étranger pour importer, en quantités limitées, des produits que le banques ont reçu instruction de ne pas financer au taux officiel et qui font l’objet de pénuries : produits de beauté, produits de luxe, pièces détachées, etc. Résultat de ce virage : le «commerce du cabas» va augmenter la pression sur le marché parallèle des devises, poussant le dinar vers des seuils insupportables.
Selon les données du FMI, l’Algérie fait déjà partie des dix pays où l’écart entre taux officiel et taux du marché parallèle est le plus élevé au monde. Au rythme actuel, elle risque de monter bientôt sur le podium. Ce qui constituerait un risque sérieux pour la monnaie algérienne, qui constitue un aspect essentiel de la souveraineté nationale.