الحراك الإخباري - Boudina, Montluc et l’urgence de s’en souvenir

Boudina, Montluc et l’urgence de s’en souvenir

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De Paris: Souheila BATTOU 

Journaliste et cinéaste 


Hier soir, en apprenant la mort de Mustafa Boudina, j’ai repensé à la première fois où je l’ai découvert : dans Retour à Montluc de Mohamed Zaoui. Ce documentaire n’est pas un simple témoignage : c’est un acte de justice poétique. Il filme Boudina revenant, cinquante ans plus tard, dans la cellule 45 où il avait, à vingt ans, attendu la guillotine.

Le film est une œuvre sobre, sans musique dramatique, sans effets de manche. C’est la caméra qui écoute. Le silence y est plus éloquent que les discours. Lorsque Boudina franchit le seuil de sa cellule, le temps se fige.

« Cette cellule, c’est une tombe verticale. Je m’y enterrais chaque nuit. »

On entend le silence. On voit sa main effleurer la pierre.

« Nous étions des numéros, mais nous étions des hommes. C’est cela qu’ils n’ont jamais compris. »

Le documentaire n’est pas seulement un retour : c’est une résurrection de mémoire, une confrontation avec l’oubli organisé.

« J’ai écrit à ma mère pour lui dire qu’elle avait un fils digne. Un fils qui ne mourrait pas pour rien. »

Cette phrase suspend le temps : elle restitue la tension d’une lettre qui aurait dû être la dernière. Mais Boudina a survécu, et c’est dans ce survivant que réside l’enjeu du film.

« Je suis revenu pour dire que nous avons existé. »

Il ne demande ni pardon, ni honneurs :

« Le film se termine sur son départ, discret, les fleurs en main. Il ne cherche ni pardon, ni honneurs. Juste à ce que la mémoire soit complète. »

Hier soir, j’ai pensé que Boudina n’avait pas seulement traversé l’Histoire : il l’avait habitée avec dignité. Et que grâce à ce film, sa voix continue, désormais, de nous parler.

Échos au présent

La parole de Boudina, revenue de l’oubli, résonne au-delà de Montluc. Aujourd’hui, où les récits coloniaux restent niés, son retour dans la cellule 45 rappelle que la mémoire n’est jamais neutre : elle est acte politique. Quand on efface un visage, un nom ou une histoire, on efface aussi la possibilité de justice.

En ce sens, son regard fixe sur la caméra nous met face à nos responsabilités collectives : reconnaître que résister n’est pas un crime, mais un droit. À l’heure où, dans le monde, des peuples sont privés du droit à exister, où l’on criminalise la simple survie, la dignité de Boudina rappelle que l’oubli organisé peut précéder la répétition des violences.

Les Palestiniens, comme hier les Algériens : réduits à des chiffres dans les bilans, leurs voix sont trop souvent muselées.

« Nous étions des numéros, mais nous étions des hommes. »

Cette phrase, prononcée devant un mur de briques, traverse le temps : elle nous invite à entendre la même douleur dans les ruines de Gaza. Car refuser la légitimité d’une résistance, c’est refuser l’humanité de ceux qui la portent.

Retour à Montluc est à voir absolument : non pour figer un destin, mais pour affirmer que tant que la mémoire n’est pas complète, aucune paix n’est possible.

تاريخ Jun 5, 2025