Ahmed ABDELKRIM
Depuis plusieurs années, le Maroc, à travers son appareil étatique, ses médias et ses relais numériques, développe une stratégie de communication fondée sur une cible constante : l’Algérie. Comparaisons systématiques, provocations diplomatiques, infox massives sur les réseaux sociaux, discours victimaires : le Makhzen semble avoir fait de l’Algérie le socle même de son storytelling national, au détriment d’un regard honnête sur ses propres défaillances internes.
Une économie en crise... couverte par la diversion
Le Royaume connaît une situation économique alarmante que peu de discours officiels osent affronter :
• En 2024, le taux de chômage des jeunes a dépassé les 35 %, selon les données du Haut-Commissariat au Plan.
• Le Maroc figure parmi les pays les plus endettés d’Afrique : plus de 1 085 milliards de dirhams de dette publique, soit près de 70 % du PIB, selon la Banque centrale.
• En 2023, plus de 9 000 entreprises ont déposé le bilan, et les projections tablent sur 16 000 faillites en 2025
• Le pays est énergétiquement dépendant à plus de 90 %, avec une facture énergétique qui a dépassé 80 milliards de dirhams en 2022.
• La sécheresse a frappé durement le secteur agricole, entraînant une inflation sur les produits alimentaires de base, ce qui a accentué la pauvreté rurale.
Plutôt que de traiter ces problèmes structurels, le régime marocain détourne l’attention de son opinion publique par un récit de conflit externe : l’Algérie.
La stratégie de communication du Makhzen : la guerre de l’image
Une omniprésence sur les réseaux sociaux
1. Le Maroc déploie une armée numérique active sur TikTok, Facebook, YouTube, Instagram, où pullulent des vidéos comparatives souvent montées de façon biaisée : qualité des routes, armement, tourisme, football, croissance… Aucun domaine n’échappe à cette volonté de se mesurer à l’Algérie, souvent dans un registre moqueur ou agressif.
Des hashtags comme #ManichRadi, censés être des mouvements sociaux marocains, ont été instrumentalisés contre l’Algérie depuis des comptes marocains. Plusieurs infox, comme la reconnaissance imaginaire de la Kabylie par des pays africains, sont diffusées par des relais digitaux proches du Makhzen.
2. Une presse alignée et agressive. Des médias comme Le360, Barlamane, ChoufTV, SNRT adoptent une ligne éditoriale centrée sur l’Algérie. Ils n’hésitent pas à traiter le voisin de « régime militaire hostile », de « danger pour l’Europe », ou encore d’« État voyou », reprenant une rhétorique calquée sur celle utilisée par Israël contre ses adversaires.
3. La victimisation diplomatique. Sur le plan international, le Maroc pratique un lobbyisme actif à Bruxelles, Washington, Paris et Londres, visant à présenter l’Algérie comme une puissance agressive, instable et dangereuse. Ce discours trouve un écho dans certains think tanks et médias occidentaux, souvent séduits par la posture marocaine de partenaire « modéré » en Afrique du Nord.
Israël : le modèle de communication assumé
Depuis la normalisation avec Tel-Aviv en 2020 via les Accords d’Abraham, le Maroc s’aligne de manière stratégique et rhétorique sur Israël :
• Il devient le troisième importateur d’armes israéliennes, incluant drones, systèmes de surveillance et satellites.
• Sur le plan du discours, Rabat adopte une posture de victime permanente, accusant l’Algérie de comploter, d’armer des mouvements séparatistes, de soutenir des ennemis.
• À l’instar d’Israël, le Maroc utilise les accusations de terrorisme ou de cybermenace comme leviers diplomatiques, pour justifier son alliance sécuritaire et militarisée avec Israël et les Émirats arabes unis.
Pourquoi cette obsession pour l’Algérie ? Détourner l’attention et occulter les crises internes économiques, sociales et politiques. Créer un ennemi utile et unir l’opinion publique autour d’un adversaire externe pour renforcer l’unité autour du roi. Montrer sa loyauté à l’Occident se présenter comme un rempart contre l’Algérie « radicale », pour séduire l’Europe et les États-Unis.
Enfin, justifier les alliances et presenter l’Algérie comme une menace pour légitimer les accords militaires avec Israël.
Cas emblématique : la chute du dirham et les accusations
En janvier 2025, une rumeur sur Google indiquant une chute du dirham de 75 % a semé la panique. Le gouvernement marocain a aussitôt accusé une "attaque algorithmique" orchestrée par des ennemis extérieurs, sous-entendu l’Algérie, pour déstabiliser son économie. Cette posture défensive et accusatrice est typique de la stratégie marocaine : détourner les responsabilités internes vers l’extérieur.
Le Maroc, sous l’emprise du Makhzen, n’aspire plus à briller par lui-même, mais à exister contre l’Algérie. Cette obsession compulsive n’est pas simplement médiatique : elle est devenue un pilier stratégique de survie politique. À force de pointer le doigt vers Alger, Rabat évite de regarder en face ses propres failles. Mais un pays ne peut se construire durablement sur l’ombre d’un autre.
Tôt ou tard, le miroir algérien finira par se briser. Le Makhzen devra alors affronter ce qu’il a tenté d’esquiver depuis trop longtemps : la réalité marocaine.