Ahmed ABDELKRIM
Le 1er juillet 2025, le verdict est tombé : Boualem Sansal, écrivain à la double nationalité franco-algérienne, a été condamné en appel par la justice algérienne à cinq ans de prison ferme, assortis d’une amende de 500 000 dinars. Motif : atteinte à l’unité nationale, outrage à corps constitué et diffusion de propos de nature à porter atteinte à la stabilité de l’État. La réponse française ne s’est pas fait attendre. Officiels, médias, intellectuels et parlementaires ont dénoncé à l’unisson une prétendue atteinte à la liberté d’expression. Mais derrière l’indignation affichée se dessine une stratégie bien connue : celle d’un pays qui, en perte d’influence dans son ancien pré carré, agite les symboles pour raviver une mémoire impériale.
Un écrivain devenu instrument d’influence
Il serait naïf de considérer Boualem Sansal comme un simple intellectuel victime d’un appareil judiciaire répressif. Les faits démontrent que l’homme s’est volontairement inscrit dans une entreprise politique de longue haleine : celle de la délégitimation de l’État algérien. À travers ses publications, ses interviews, et ses prises de parole dans des cercles d’extrême droite française — notamment via le site Frontières, proche des sphères identitaires — Sansal a sciemment multiplié les provocations : mise en doute des frontières de l’Algérie, allusions à une appartenance historique de l’Ouest algérien au Maroc, moqueries ciblées à l’égard de l’institution militaire, railleries sur le peuple algérien, réduit à une masse sans racines ni mémoire.
De telles assertions ne relèvent ni de la critique littéraire ni de la liberté intellectuelle. Elles s’inscrivent dans une logique de sape idéologique, où l’écrivain se transforme en acteur d’une guerre d’influence, au service d’intérêts étrangers.
Une France qui crie au scandale, mais qui reste sourde à sa propre législation
La France, prompte à brandir les grands principes lorsqu’il s’agit de dénoncer les dérives supposées de ses partenaires du Sud, aurait-elle toléré qu’un de ses ressortissants affirme, sur une chaîne étrangère, que l’Hexagone est une construction artificielle sans légitimité historique, ou que les Bretons ou les Corses n’ont pas de racines françaises ? Aurait-elle accepté qu’un écrivain appelle à la dislocation territoriale du pays ou tourne en dérision son armée ?
La réponse est non. Le Code pénal français est explicite :
• L’article 412-1 punit l’atteinte à l’intégrité du territoire national de 15 ans de réclusion ;
• L’article 433-5-1 réprime les outrages aux forces armées ou à une personne dépositaire de l’autorité publique.
• L’article 24 de la loi sur la liberté de la presse permet de poursuivre tout propos incitant à la haine ou à la contestation des institutions républicaines.
Dans un contexte de tension politique, un écrivain ayant tenu de tels propos aurait vu ses publications retirées, ses interventions interdites, et peut-être même sa citoyenneté remise en question.
Quand la nationalité devient une arme
Sansal a obtenu la nationalité française en 2024, peu avant son interpellation en Algérie. Ce « timing » n’est pas anodin. Il pose une question de fond : la nationalité française est-elle devenue une protection stratégique, une immunité pour certains activistes désavoués dans leur propre pays ? Peut-on critiquer violemment son pays natal tout en invoquant la protection d’un autre État ? Peut-on se faire le porte-parole d’une idéologie hostile à l’État et au peuple algérien tout en revendiquant les droits de citoyen d’un État tiers ?
Sansal n’est plus un écrivain. Il est devenu un agent idéologique, un porte-voix officieux d’un courant nostalgique de l’Algérie française, dont l’objectif est de remettre en cause les fondements de l’État algérien moderne.
L’Algérie face à la campagne de pression
La réaction de la France ne s’est pas limitée aux canaux diplomatiques. Elle s’est accompagnée d’une orchestration médiatique d’envergure, mobilisant journaux, chroniqueurs, anciens diplomates et écrivains acquis à la cause. L’objectif est limpide : faire pression sur Alger, ternir l’image de sa justice, et faire de Boualem Sansal un symbole. Un « dissident » selon la rhétorique occidentale.
Pourtant, les autorités algériennes n’ont cédé ni à la provocation ni à l’émotion. Le gouvernement a réaffirmé sa confiance en son système judiciaire, rappelant que la souveraineté de l’État ne saurait être remise en cause par les clameurs extérieures. L’Algérie ne fait qu’appliquer sa législation, comme le ferait tout autre État soucieux de protéger son unité territoriale et son autorité.
Une stratégie française de la provocation maîtrisée
Depuis plusieurs mois, Paris multiplie les signaux contradictoires à l’égard d’Alger : volonté de coopération affichée d’un côté ainsi qu’une instrumentalisation d’un écrivain controversé pour alimenter une crise diplomatique. Pourquoi ? Parce que la France, en perte de vitesse en Afrique du Nord et dans le Sahel, cherche à maintenir une forme de contrôle symbolique. La provocation devient alors un levier diplomatique : elle pousse l’Algérie à la réaction, justifie l’indignation médiatique, et renforce l’idée que les anciens colonisés sont « incapables de gérer leur propre dissidence ».
Mais cette stratégie ne trompe plus. L’Algérie, forte d’un appareil étatique solide, d’une diplomatie structurée, d’une armée forte et unie et d’une opinion publique lucide, ne se laissera pas dicter sa conduite. L’ère des injonctions morales venues du Nord est révolue.
Une affaire symptomatique
L’affaire Boualem Sansal ne se réduit pas à un procès d’un intellectuel. Elle révèle un affrontement de narratifs, une guerre des symboles entre une France toujours en quête de contrôle culturel sur ses anciennes colonies, et une Algérie décidée à faire respecter sa souveraineté, même face aux figures autrefois adulées.
Dans ce combat, la justice algérienne n’a pas vacillé. Et malgré les cris d’orfraie d’intellectuels parisiens, c’est bien le droit algérien qui a parlé — non la censure, mais la souveraineté.
L’Algérie est un État souverain, régi par ses propres lois, ses institutions et son système judiciaire. Toute personne, quel que soit son âge, sa notoriété ou sa nationalité, y est soumise au même titre que tout citoyen. La justice y fonctionne selon des règles claires, indépendamment des pressions ou des émotions venues de l’extérieur.
La France, pourtant si attachée à sa propre souveraineté et au respect strict de ses lois, adopte soudainement une posture de donneuse de leçons lorsqu’il s’agit de l’Algérie. Ce deux poids deux mesures trahit une vision désuète, presque coloniale, où l’Algérien serait sommé de se plier aux injonctions d’un "ancien tuteur", comme si l’indépendance acquise devait encore être justifiée.
Peut-être est-ce le fruit d’une habitude, celle d’un certain confort diplomatique : celui de voir le Maroc officiel, le Makhzen, répondre avec empressement à chaque sollicitation française, obéissant au regard comme au mot, quitte à s’éloigner de ses propres lois, de sa souveraineté, et parfois même, des aspirations profondes de son peuple.
Mais l’Algérie n’est pas le Maroc. Elle ne baisse pas la tête. Elle ne négocie pas sa dignité. Elle ne sacrifie ni ses principes, ni son honneur sur l’autel de la complaisance diplomatique. Le peuple algérien est fier, enraciné, combatif. Il avance debout, comme il s’est toujours battu : en lion.
Le respect entre les nations commence par la reconnaissance réciproque de la souveraineté. Il exige que chacun accepte l’autre comme son égal, non comme un subordonné. L’Algérie ne demande pas qu’on l’approuve, seulement qu’on la respecte.