Abed Charef
C’est un accord dont Bruno Retailleau et Xavier Driencourt ont suggéré l’abrogation, pour, selon eux, porter un coup à la nomenklatura algérienne. Pour le ministre français de l’intérieur et pour l’ancien ambassadeur de France à Alger, les dignitaires algériens profiteraient sournoisement de l’accord de 2013 pour se rendre en France en vue d’y passer leurs vacances, de gérer leurs affaires ou pour se faire soigner. A force de déclarations et d’interviews, les deux hommes avaient fini par élaborer toute une stratégie pour faire pression sur l’Algérie, en utilisant notamment la menace d’abrogation de cet accord.
En fait, de quoi s’agit-il? L’accord de 2007, revu en 2013, prévoit que les ressortissants français et algériens titulaires d’un passeport diplomatique seraient dispensés de visa s’ils avaient à voyager dans l’autre pays.
La partie française a présenté cet accord comme un immense privilège accordé aux dignitaires du régime algérien, libres de se rendre en France, et que la seule menace d’y mettre fin pourrait amener l’Algérie à céder dans l’affaire Sansal. C’était, selon MM Retailleau et Driencourt, un argument qui pouvait s’avérer décisif pour, entre autres autres, obtenir la libération de l’écrivain algérien condamné à cinq de prison en Algérie, moins d’une année après avoir obtenu la nationalité française.
Les politologues français devront expliquer, un jour, comment deux personnages aussi loufoques ont pu entraîner la diplomatie de leur pays sur une piste aussi incertaine; comment une telle accumulation d’erreurs et d’approximations a pu rendre populaire un ministre de l’intérieur dont l’argumentaire et l’analyse sont aussi décalées par rapport à la réalité. Car, concrètement, pour l’Algérie cet accord n’a aucune importance. Le ministère algérien des affaires étrangères a ainsi souligné que l’Algérie n’a «aucun intérêt particulier, ni aucun attachement significatif» à cet accord.
En fait, l’accord de 2013 n’a rien d’exceptionnel. Il est même d’une grande banalité. Abdelaziz Rahabi, ancien ministre et ancien ambassadeur, a indiqué que l’Algérie avait signé des accords similaires avec une quinzaine de pays de l’Union européenne, en vue d’éviter certaines démarches superflues au personnel diplomatique.
Ignorer l’accord, sans l’abroger
Toutefois, quand la menace d’utiliser l’accord pour des objectifs peu évidents est devenue récurrente, le ministère algérien des affaires étrangères a pris les devants, notamment à la suite d’une décision de refoulement prise à partir d’un aéroport français, pour des raisons insignifiantes, à l’encontre de M. Abdelaziz Khellaf, ancien directeur de cabinet du président Abdelmadjid Tebboune. C’était une offense délibérée, que la partie algérienne a encaissée, et qui l’a décidée à prendre les devants: le ministère algérien des affaires étrangères a alors interdit à ses employés et à leurs familles de se rendre en France, de transiter par des aéroports français ou par des poste-frontières français, pour éviter toute décision similaire. La décision signifiait, concrètement, que l’Algérie décidait de ne plus avoir recours à cet accord, mais elle ne l’abrogeait pas formellement.
Et c’est à la partie française qu’a échu, finalement, la décision d’abroger cet accord, que l’Algérie avait décidé d’ignorer. Décision prise en catimini, annoncée par une fuite dans la presse, et sans informer officiellement le partenaire algérien selon les procédures prévues par l’accord lui-même.
Dans la foulée, on apprenait deux choses très significatives, qui vont totalement à l’encontre de ce que racontent les médias. D’abord, l’accord de 2007, élargi en 2013, n’ pas été élaboré à la suite d’une demande, ni même d’une initiative algérienne, mais sur une demande insistante française. « L’Algérie n’a jamais été demandeur. C’est la partie française qui a demandé, à trois reprises, cet accord», et a fini par l’obtenir après la quatrième tentative, selon le communiqué du ministère algérien des affaires étrangères.
Barbouzeries
Plus intéressant encore, les péripéties liées à la crise algéro-française ont fini par révéler quel usage faisait la France de cet accord. A la mi-avril, l’Algérie avait expulsé douze agents français, à la suite de la mise en détention d’un agent consulaire algérien en France, soupçonné d’être un barbouze mêlé à une tentative d’enlèvement présumée contre l’influenceur Amir Dz. L’Algérie avait accusé la partie française d’avoir agi sans respect des procédures diplomatique.
La France avait riposté par une mesure de même envergure. Mais, fait plus intéressant, Paris avait tenté de remplacer ses fonctionnaires expulsés en envoyant quinze autres fonctionnaires détenteurs d’un passeport diplomatique, donc exemptés de visa. Il s’agissait, à l’évidence, de nouveaux barbouzes devant remplacer ceux qui avaient été expulsés. L’Algérie les a aussitôt expulsés, affirmant que ces personnes, titulaires de passeports diplomatiques pouvaient certes se rendre en Algérie sans visa, mais qu’elles ne pouvaient occuper des fonctions officielles sans être dûment accréditées à cet effet, selon des procédures diplomatiques d’usage.
Et c’est là que l’accord de 2013 est apparu sous un nouvel angle: il permet d’envoyer des barbouzes dans le pays adverse, sans passer par des formalités de visa encombrantes. C’est ce que la partie française a tenté de faire, au plus pressé, pour remplacer les barbouzes expulsés, car la partie algérienne avait, dans l’élaboration de la liste du personnel français à expulser, inclus essentiellement des éléments de la DGSI, relevant du ministre de l’intérieur Bruno Retailleau. Naturellement, quand la partie française a envoyé la nouvelle équipe, la partie algérienne a relevé le stratagème, assez primaire du reste, et expulsé les personnes concernées.
Mais au-delà de cette nouvelle séquence de la crise des relations algéro-françaises, ce qui retient l’attention, c’est qu’un accord bilatéral est toujours différemment interprété. La partie française prétendait que l’accord de 2013 était très important pour l’Algérie, que menacer de l’abroger constituait un moyen de pression pour faire plier les dirigeants algériens, alors qu’en fait, c’est la partie française qui a demandé avec insistance la signature de cet accord, dans une stratégie propre à l’Etat profond français. Ce n’est qu’aujourd’hui qu’on découvre un élément de cette stratégie.
Pendant ce temps, aveuglés par un oppositionnisme primaire, des commentateurs algériens continuaient à dénoncer un accord supposé fait sur mesure pour les dignitaires et la nomenklatura algériens. Un accord qui n’apportait rien à l’Algérie, tout comme l’accord de 1968, peut-être utile en son temps, mais qui constitue aujourd’hui un handicap pour les Algériens résidant en France, alors que M. Driencourt continue à l’utiliser pour faire campagne contre l’Algérie.